Fleuriste Florateria
Fernand Leduc a fondé Florateria en 1956 dans le Plateau de Montréal. Il a acheté le fleuriste de deux des célèbres quintuplées Dionne et en a fait une véritable entreprise familiale. En référence aux « groceterias », le nom commun des épiceries en libre-service à l’époque, Leduc a d’abord nommé son nouveau magasin Fleureteria. Roger, le fils de Fernand qui a repris le commerce en 1981, se souvient encore de ses premiers jours de travail à Florateria : « à l’âge de cinq ans, j’étais déjà sur la caisse avec un petit banc ». Après avoir commencé une carrière chez Bell Canada, Roger Leduc est revenu dans l’entreprise familiale à l’âge de 19 ans, lorsqu’il a accepté d’aider son père à la boutique au cours d’un été très achalandé et ne l’a jamais quittée. Au fil des ans, plusieurs autres membres de la famille se sont joints à l’équipe. Le grand-père et les oncles de Roger ont donné un coup de main pendant les périodes de fêtes et d’autres périodes occupées. Sa sœur, Jacqueline, a travaillé à la boutique pendant 43 ans et, à l’âge de 81 ans, elle y travaillait encore chaque jour. Les trois fils de Roger ont aussi travaillé à Florateria pour payer leurs études, mais pour tous ceux qui y ont travaillé, selon Roger, « c’était vraiment comme une famille ». Roger a travaillé sept jours sur sept à Florateria jusqu’au 31 juillet 2024, date à laquelle une augmentation soudaine du loyer a obligé le magasin à fermer.
Au cours de ses 68 années en affaires, Florateria s’est inscrite dans l’histoire de Montréal. Roger Leduc se souvient de la fierté qu’il éprouvait à fournir des fleurs aux pavillons du Canada et de la Chine pendant l’Expo 67. Armé de son tout nouveau permis de conduire, il était chargé de livrer des fleurs aux pavillons sept jours sur sept pendant tout l’été de l’Expo. Plus récemment, Florateria a parfois collaboré avec des accessoiristes pour choisir des fleurs historiquement exactes pour des films. « Si, mettons, ils faisaient une scène de 1970… C’est moi qui choisissais les fleurs dans ce sens-là », se souvient-il en souriant.
Le magasin travaillait souvent avec des décorateurs et des architectes d’intérieur, comme en témoigne le numéro de décembre 1998 de DécorMag. Fidèle à son sens de la créativité, Roger Leduc est fier d’avoir été le premier à vendre des fleurs exotiques à Montréal, en s’approvisionnant en Colombie, en Équateur et dans le monde entier. « Mon père n’osait pas dépenser plus qu’il fallait », se souvient Roger, « mais moi, j’ai commencé à vendre toutes sortes de fleurs que j’aimais ». Au début des années 2000, il s’est rendu aux Pays-Bas pour se procurer de nouvelles roses bleues et les vendre à Florateria : « C’est moi qui ai apporté les roses bleues moi-même, les premières à Montréal ».
Le fleuriste Florateria était aussi très impliqué dans sa communauté. Le père de Roger faisait souvent des dons de fleurs à divers groupes et a insisté pour que son fils poursuive ses efforts lorsqu’il a repris le magasin. Florateria a remporté le Prix Yvonne-Maisonneuve en 2019 pour son engagement envers la Maison d’Hébergement Chainon, auquel M. Leduc a toujours envoyé des poinsettias pour Noël et des bouquets pour Pâques. Florateria a également souvent fait des dons de fleurs à La Rue des Femmes, un centre de santé pour femmes près de la boutique. Pour honorer la communauté portugaise du voisinage et grâce à l’influence de Maria de Souza, une employée qui a travaillé chez Florateria pendant 30 ans, le magasin fournissait souvent des fleurs pour les célébrations à l’église portugaise locale, l’Église Santa Cruz.
Lorsque Florateria a fermé ses portes, Roger Leduc a généreusement offert au Projet d’Enseignes de Montréal l’une des deux enseignes qui étaient accrochées aux fenêtres. Elles étaient restées intactes depuis leur installation autour de 1970. « Mon père, il écrivait bien. Pour un homme, surtout », plaisante Roger Leduc, ajoutant que son père avait collaboré avec une entreprise pour personnaliser l’enseigne. « C’était son écriture… ils l’ont comme autographié et ils ont ajouté l’éclairage », se souvient-il. Selon Roger, cette enseigne correspondait à l’intérieur du magasin, puisque son père avait peint à la main toutes les enseignes du magasin.
Jusqu’à la fermeture de Florateria, les panneaux intérieurs rouges et noirs peints à la main par son père étaient toujours présents, recouverts d’un plastique de protection. Roger note que de nombreux aspects du magasin sont restés inchangés au fil des ans : l’enseigne a même été branchée sur le même breaker des années 50 depuis son installation. « C’est comme un patrimoine ici, s’exclame-t-il, après 68 ans d’affaires ! ».
En juillet 2024, la famille et les anciens membres de l’équipe ont assisté à la fête de fermeture de Florateria pour célébrer ce site « patrimonial » et se remémorer la longue histoire du magasin. L’événement a été commémoré par la photographie de la professeure Marisa Portolese, membre de la faculté des beaux-arts de Concordia et habituée de Florateria depuis plus de vingt ans. « Mon amie Geneviève, ma directrice de thèse, me les a fait découvrir. Elle m’a dit : “C’est ici qu’on trouve les meilleures fleurs de Montréal” ». Lorsque Portolese a déménagé à quelques pas de la boutique, elle est devenue un visage familier. « J’étais si heureuse d’avoir un fleuriste chez qui je pouvais aller plus régulièrement, et ils étaient si gentils. Et puis, au fil du temps, j’y suis allée de plus en plus souvent. Alors j’ai appris à bien les connaître. J’aime beaucoup soutenir les commerces locaux. Je veux entrer dans un magasin et savoir qui est le propriétaire ».
Les fleurs ont toujours inspiré la créativité de Portolese, grâce à l’influence de son père jardinier. Florateria a donc joué un rôle essentiel dans plusieurs de ses projets. « Je pouvais leur faire confiance, dit Portolese, chaque fois que j’utilisais des fleurs dans mon travail, je me tournais toujours vers eux ». Son exposition de 2018 « Dans le Studio avec Notman » au Musée McCord a combiné l’inspiration des archives photographiques de William Notman avec son intérêt pour le portrait féminin. Elle a choisi des toiles de fond tirées de tableaux de maîtres anciens et s’est rendue à maintes reprises à Florateria pour créer de luxuriants ensembles de fleurs pour ses portraits inspirés du XIXe siècle. Pour son projet le plus récent, un livre intitulé « Goose Village » : A Chronicle of Displaced Lives and Lost Heritage, Portolese a exploré le terrain de stationnement où se trouvait autrefois le quartier montréalais disparu de Goose Village, ou Village-aux-Oies. Elle a prêté attention aux fleurs (des mauvaises herbes !) souvent négligées autour du terrain et s’en est inspirée pour ses photographies. En hiver, Roger lui a commandé ces plantes inhabituelles pour qu’elle puisse poursuivre son travail. « Je lui demandais : “Pouvez-vous me commander des tiges d’or ? Pouvez-vous me commander de la dentelle de la Reine Anne ? ” ».
Bien entendu, Florateria a aussi joué un rôle dans les événements marquants de la vie de nombreux habitués : anniversaires, mariages et enterrements, y compris pour les beaux-parents de Portolese. Elle a été choquée par la fermeture de Florateria et a utilisé sa photographie pour commémorer son rôle de longue date dans la vie des locaux. « J’ai acheté beaucoup de plantes. Ma mère a acheté des plantes, mes amis ont acheté des plantes. Ensuite, j’ai commencé à photographier les murs. Pas comme une journaliste, mais comme une artiste. C’est ce qui m’intéressait, c’était tous les vestiges du passé, toutes les marques sur les murs ». En juillet 2024, Portolese a fait ses adieux à Florateria en organisant une dernière photo de groupe avec les employés d’hier et d’aujourd’hui pour commémorer les 68 ans de ce fleuriste du Plateau.